Amarré sur l’île Piot à Avignon (Vaucluse) derrière un rideau d’arbres, le Ravir est l’un des bateaux les plus discrets de la Cité des Papes. Et sans doute aussi l’un des plus séduisants. Transformé en luxueuse et confortable habitation par son propriétaire, François Rallet, le Freycinet de 1932 a été restauré “dans son jus”. Logement du marinier et cambuse extérieure ont été conservés, de même que le moteur d’origine et la devise. Cette restauration respectueuse a permis au Ravir d’obtenir le label Bateau d’intérêt patrimonial (B.I.P.) en 2017.
«Au début, les bateaux, on les voit tous identiques, puis quand on affine son regard, ils apparaissent tous différents. Je savais exactement ce que je cherchais. Et c’était un mouton à 5 pattes : je voulais un bateau ancien, en forme de banane. Je voulais un cul-de-poule, du rampage. Je voulais un logement d’origine extrêmement travaillé et un moteur ancien, avec un peu de caractère. Je voulais un chapeau de gendarme, cette cambuse extérieure devant la timonerie. Et je voulais l’ensemble en bon état. » Nanti de ces exigences, François Rallet est parti à la recherche de son “mouton à 5 pattes” en 1994. Pilote dans l’armée de l’air, F. Rallet est alors basé à Dijon (Côte-d’Or). Pendant 3 ans, le week-end, il va voir des “péniches” dans toute la France, en Belgique et aux Pays-Bas. Il en visitera une centaine avant de tomber en arrêt devant le Ravir à Conflans-Ste- Honorine (Yvelines). Le bateau répond en tout point à son désir. Enfin, presque en tout point : il est en mauvais état.
En découvrant le Ravir, F. Rallet rencontre aussi son ancien propriétaire, Roger Regnier. Entre le batelier et le pilote, le courant passe de suite. C’est le père de Roger, Alphonse, qui avait fait construire le bateau à Baesrode en Belgique. Lorsque le Ravir sort du chantier Van Praet en 1932, il est alors l’un des rares automoteurs à naviguer sur les canaux français. Toute sa longue vie de batelier, Roger continuera à vanter la modernité du bateau de son père. « Monsieur Regnier disait toujours qu’il avait un bateau super moderne parce que quand son père l’avait acheté en 1932, il était moderne. Forcément, comme tout ce qu’on achète neuf… Mais pour lui, le temps s’était arrêté et son bateau ne vieillissait pas. » Rien ne change sur le bateau jusqu’en 1970.
Cette année-là, R. Regnier monte sur le bateau le frigo à pétrole qu’il vient d’acheter à la Foire de Paris. « Il me disait : “En plus il a le réfrigérateur !”» Quand F. Rallet achète le bateau, le frigo à pétrole est toujours là. Comme le frigo, qui a alors 27 ans, le bateau est dans son jus. Le moteur aussi. Le Deutz Diesel bicylindre 2 temps de 77 chevaux (à l’origine), régime lent, a été installé en 1932. Basé à Conflans, le Ravir a surtout navigué sur la Seine, chargé de vrac, essentiellement des céréales. « C’est un bateau qui n’a pas trop souffert, parce que les écluses sont larges sur la Seine », s’aperçoit vite F. Rallet. Roger Regnier a repris l’exploitation du bateau en 1978, avant d’arrêter à son tour son activité à la fin des années 1980, sans doute en 1988. Il laisse le bateau sur la Seine en amont de Conflans. En 1990, le Ravir est vendu à Maurice Wachter qui ne l’entretient guère.
Avant de signer la vente, F. Rallet fait expertiser le bateau par le Chantier fluvial Rousseaux et Debacker, à Pont-l’Évêque (Oise) : « L’expertise s’est avérée mauvaise. Je me doutais bien qu’il y aurait des problèmes. Tout le bordé était mort. » Le bateau est resté plusieurs années à l’abandon, toute la ligne de flottaison est attaquée par la rouille. F. Rallet acquiert tout de même le bateau en avril 1997. Les bordés (mais pas le fond qui est toujours d’origine à 95 %) sont remplacés à Pont-l’Évêque, et F. Rallet s’attelle à repeindre le bateau. « J’avais vu, en couverture d’un numéro de Fluvial, un bateau à cul-de-poule photographié devant la cathédrale Notre-Dame de Paris. J’avais trouvé cette photo et ce bateau fantastiques. J’aimais sa forme et sa peinture orange.
C’est à cause de cette photo que j’ai d’abord peint le pont du Ravir en orange. » François est alors basé dans le Vaucluse, à Orange, mais remonte en train à Pont-l’Évêque tous les week-ends. Avec l’aide de Roger, il nettoie le moteur et remplace galets et clapets. « J’ai fait une beauté au moteur. Il avait 77 chevaux à l’origine, mais il y en a qui sont morts, je ne sais pas combien il en reste. Il fonctionne bien. » Cent tonnes de contrepoids de grue, repérés dans un champ et rachetés par F. Rallet, des blocs de ciment de 2 à 3 t chacun, viennent lester le fond du bateau.
Quand ces 1ers travaux sont achevés, le bateau est prêt à partir vers le sud. R. Regnier est à bord. « J’ai fait la 1re journée de navigation avec lui. C’était magique parce qu’il n‘avait pas navigué sur son bateau depuis 10 ans. C’était un peu une renaissance pour lui. » Le voyage continue avec un autre marinier qui apprend à naviguer à . Rallet : « J’ai passé les permis juste après. Mais j’avais d’abord appris à naviguer, on n’apprend pas ça au permis. » En passant à Paris, F. Rallet demandera à un membre de sa famille de photographier le bateau depuis un pont avec le même cadrage que la photo de couverture qui l’avait tant fait rêver.
Si la couleur orange, qui s’est avérée difficile à entretenir dans la durée, a aujourd’hui disparu du Ravir, la photo témoigne encore de ce passage parisien. Le Ravir est attendu au chantier naval de Francesco Raimondo (aujourd’hui chantier Évezard) à Marseilles-lès-Aubigny (Cher) pour l’installation d’une terrasse. Mais le courant ne passe pas entre les 2 hommes. À Marseilles, François fait néanmoins la rencontre de Steve homas, soudeur sur le chantier. S. homas et sa compagne, Mary Ranger, quitteront le chantier avec F. Rallet à bord de leur bateau-logement Johanna. Direction Lon (Rhône). À Lon, S. homas accompagne quelque temps F. Rallet dans la restauration du bateau. « Steve m’a appris la soudure et la chaudronnerie. On a fini la terrasse ensemble, l’escalier, et ensuite j’ai continué tout seul, je me suis débrouillé. J’ai posé mes hublots, j’ai fait mon toit en acier 6 mm. » Avant de remplacer les écoutilles par des plaques d’acier, F. Rallet réalise qu’il n’aura bientôt plus la possibilité de modifier l’aménagement de son fond de cale.
Il enlève donc les 100 t de contrepoids et les remplace par 12 t (environ 360 m) de rails de chemin de fer et 60 t de petites bordures de trottoir en béton. Les rails ne sont pas soudés mais pincés au fond du bateau sur de grosses pannes en acier soudées sur les membrures. Longs de 12 m, les rails sont distribués sur toute la longueur du bateau. Cet aménagement permet de moduler le lest en enlevant ou déplaçant, grâce à des trappes, les bordures de trottoir, mais aussi de renforcer le fond quand le bateau doit être sorti de l’eau. Quelques rails sont laissés apparents et traversent aujourd’hui, joli détail, le parquet précieux au sol de la pièce à vivre.
Ces gros travaux terminés, il est temps de s’attaquer à la question de l’isolation. « Un expert m’avait dit un truc intelligent : si tu ne veux pas te décourager, mets une cloison dans ton bateau pour faire une pièce de 20 à 30 m2, isole bien cette pièce pour y vivre rapidement. C’est un bon conseil. Mettre en place la structure, l’isolation, la plomberie… dure tellement longtemps que les projets tournent souvent à une baisse de motivation, à l’échec, au divorce… Alors qu’en posant une cloison pour délimiter une petite pièce de 25 m2, j’ai pu vivre confortablement pendant les 6 ans de travaux qui ont suivi. » Quand le Ravir est à Lyon, F. Rallet est basé en Charente d’où il multiplie les allers-retours avec la Ville des Lumières.
À Lyon, François installe le réseau d’eau, le réseau électrique et des batteries au cadmium nickel. Des batteries de Mirage III ! Récupérées sur son lieu de travail, ces batteries, qui ont une durée d’utilisation très courte sur les avions mais peuvent encore servir, ont des puissances de pointe de 1000 à 2000 A. Le Ravir est prêt à décoller. Pour stocker l’eau potable, 2 citernes souples de 1500 l sont installées à l’arrière du bateau, tandis que 4 cuves en plastique de 1 m3 chacune trouvent leur place à l’avant. Ces 7 m3 de réserve d’eau peuvent faire office de ballast. Quand le tirant d’air est trop faible pour le Ravir, vider et remplir succes-sivement les réserves avant et arrière permettent d’enfoncer l’avant puis l’arrière du bateau. Les effluents, eaux noires et eaux grises, sont traités avant rejet par une station de traitement maison : bac à graisse en inox (1,50 m de long sur 1 m de large et presque 1 m de haut) et 3 bacs de décantation avec traitement bactérien. Seule l’eau des douches est rejetée sans traitement dans le milieu naturel.
En 2001, F. Rallet est muté à Cambrai (Nord). Cette fois, le Ravir sera aussi du voyage. De Lyon à Cambrai, François est au macaron, mais pas tout à fait seul : « Pour ce voyage, ce sont 60 personnes en tout qui m’auront accompagné, pas toutes en même temps bien sûr. Si tu dis à quelqu’un : “Tu veux venir m’aider à déménager ?”, tu n’as personne. Mais, en revanche, si tu dis : “Je déménage avec ma péniche”, là tout le monde rapplique. J’ai fait piloter tout le monde en restant tout près du macaron. » Sur les canaux du Centre, en l’absence de propulseur d’étrave, F. Rallet utilise des guetteurs pour entrer les 5,05 m de large du Ravir : « Ce qu’il faut, c’est rentrer le nez du bateau dans l’écluse puis redresser. Je demandais à quelqu’un de s’assoir sur le côté du poste de pilotage, de mettre l’œil à l’aplomb de la coque et de me dire de combien de centimètres le bateau était entré dans l’écluse ainsi que la tendance, en diminution ou en augmentation.
La personne me disait : “Là, il y a 20 cm dans l’écluse en diminution, 15 en diminution, 10 en diminution…” Ensuite j’avançais en alignant le petit drapeau à l’avant et un repère au loin. Une fois que le nez était rentré dans l’écluse, je demandais si le cul était à gauche ou à droite. Cela permettait d’éviter le “coup de tenaille”, de coincer le bateau dans l’écluse. Ce qui est important, c’est que ton bateau soit dans l’axe. » Le Ravir une fois installé à Cambrai, les travaux continuent. L’isolation du logement est réalisée avec des panneaux de laine de roche extrêmement denses qui avaient été mis au rebut par les Chantiers de l’Atlantique à St-Nazaire (Loire-Atlantique). Ces panneaux, doublés d’une surface pare-vapeur, sont installés sur les cloisons étanches à l’avant et à l’arrière pour isoler de l’appartement principal le compartiment moteur et le petit logement du pic avant.
Côté énergie, les 2 cuves à carburant d’origine de 1000 l chacune sont consacrées, l’une, à l’alimentation du moteur, l’autre, à celle de la chaudière qu’installe F. Rallet pour alimenter le chauffage central. L’électricité est assurée par le branchement à quai et 2 groupes électrogènes, l’un, de 10 kVA Diesel, l’autre, à essence, de 4 kVA. Il n’y aura pas de panneaux solaires sur le Ravir : « Si tu es un gros consommateur d’électricité, comme moi sur ce bateau, avec le lave-linge, les plaques de cuisson à induction, la climatisation…, des panneaux solaires serviraient juste à donner bonne conscience. Pour être totalement autonome, il faut avoir une petite consommation.
Si j’installais des panneaux, cela représenterait à peine 5 % de ma consommation. » La climatisation est assurée par un système refroidi non pas à l’air, mais à l’eau. « Je ne voulais pas de bloc de clim à l’extérieur, je trouve ça horrible. Alors plutôt que de rejeter les calories dans l’air comme c’est le cas habituellement, je les rejette dans l’eau grâce à d’anciens climatiseurs dont personne ne veut plus, et un tout petit circulateur. » L’air est aspiré sous le plancher du bateau, ce qui permet aussi de ventiler le fond en permanence. Dans le logement du marinier, la bouche de climatisation est dissimulée derrière un radiateur en fonte. Dans la pièce à vivre, la clim est exposée aux yeux de tous dans un gros tuyau métallique au look industriel fixé sous le plafond.
L’aménagement intérieur peut désormais commencer. Là encore, la récupération est la règle. Lors de son passage à Marseilles-lès-Aubigny, F. Rallet avait remarqué, sur le chantier, un paquet de planches qui pourrissait sous un arbre. Un coup de rabot lui permettra de découvrir qu’il s’agit de bois d’amarante. Il rachète les 100 m2 de bois brut, lourd, dur, et les confie à ses parents, Gaby et Marie-Thérèse, qui en font un parquet, monté sur des panneaux de bois contreplaqué. Chacun de ces panneaux est mis en place dans le bateau de façon à pouvoir être soulevé en ôtant simplement quelques vis. Le système permet un accès facile à tout le fond du bateau et offre un large espace de rangement, particulièrement adapté au stockage des matériaux de bricolage.
D’anciennes cloisons de chambres froides, des tôles d’acier au plafond et des panneaux d’aménagement en aggloméré CTBX sur les parois complètent l’habillage intérieur du bateau. Cet habillage vient évidemment cacher les rivets qui s’alignaient joliment à l’intérieur de la cale nue. Qu’à cela ne tienne, François prend, dans des moules en silicone, l’empreinte des rivets qu’il s’apprête à dissimuler et fabrique 3000 têtes de rivet en résine et silice. Ces faux rivets sont collés sur des bandes de bois medium qui séparent régulièrement les panneaux d’aggloméré. Ces bandes, non seulement imitent les plats en acier de la coque, mais permettent également d’absorber les déformations du bateau. « Le bateau peut prendre 2 cm de longueur dans la journée par rapport à la nuit, il se dilate, il se contracte, il n’arrête pas de travailler. C’est pourquoi les aménagements en plaques de plâtre se fissurent souvent de tous les côtés. » François me montre alors, sous une bande de medium, un joint de dilatation large de 2 mm. « Cette nuit, il n’y aura plus d’espace. » Les cloisons intérieures sont montées et la salle d’eau installée.
À l’été 2003, F. Rallet et le Ravir quittent Cambrai pour rejoindre Avignon. « Pour avoir la Convention d’occupation temporaire (C.O.T.) du Domaine public fluvial à Avignon, cela a été l’enfer. L’enfer ! Partout où j’ai été avant, à Nevers (Nièvre), à Lyon, à Cambrai, cela s’était réglé. On me disait non au début, puis, rapidement, on me disait oui. À Avignon, on me disait qu’il n’y avait pas de place et qu’il aurait fallu prévenir 2 ou 3 ans avant d’arriver. Mais quand on est muté tous les 2 ans, c’est impossible. Je me suis inscrit sur la liste d’attente. C’est normal, chacun son tour. J’étais n° 3 ou n° 4. Mais finalement, j’ai réussi à faire créer 6 nouvelles places sur l’île Piot en travaillant comme un fou. J’ai eu ma C.O.T. en 2009, et d’autres bateaux, dont Vinotage, ont pu s’installer aussi. »
À Avignon, F. Rallet modifie l’aménagement intérieur : les 2 chambres à l’avant deviennent une grande chambre, la salle d’eau est transformée. En 2020, pendant le confinement, il consacrera un mois de chômage technique à refaire entièrement, guidé par les conseils d’un voisin ébéniste et avec sa machine à bois, le poste de pilotage, en ajoutant des petits carreaux biseautés. « Je me suis régalé à faire ça ! » Des travaux encore. Avec plaisir, toujours.
Après le récit de cette restauration au long cours, il est temps de débuter la visite du bateau. Direction l’avant du Ravir et un petit logement de marinier qui sert de chambre d’amis. Ce petit appartement, auquel on accède par l’extérieur, partage une cloison avec, à l’avant du logement principal, la chambre des parents. Retour à l’intérieur du bateau. La grande chambre des
parents, très claire, est associée avec un dressing et une spacieuse salle d’eau. Le lavabo, le miroir ancien en triptyque, les portes de bateau en bois, les vitraux ont été chinés ici ou là, à la braderie de Lille (Nord) ou sur l’Internet. Les menuiseries sont fabriquées maison. Entre la salle d’eau et la chambre, un miroir articulé imaginé par F. Rallet se transforme en ouverture. Le plancher en pitchpin (un bois de conifère américain) a été fabriqué avec les planches qui couvraient le fond du bateau. Sous le vernis, les taches d’huile sont d’origine ! Dans la chambre, dans le patio (où une ancienne cabine téléphonique dissimule les toilettes), comme dans la pièce principale, d’étonnants objets, toujours anciens, souvent chromés, attirent l’œil du visiteur curieux. Ici, c’est un parcmètre des années 1950, là un ancien fauteuil de coiffeur, ou encore cette borne kilométrique en fonte de Bouzincourt, souvenir d’un passage en Somme.
Le patio sépare la chambre de la pièce à vivre, égayée par les couleurs vives d’un immense canapé bas. Au-dessus des coussins multicolores, est suspendu un grand canoë de bois des années 1930. Sur la paroi, est accroché un boîtier de commande de cloches d’église. Sous les interrupteurs de laiton, des plaquettes métalliques annoncent “glas”, “angélus” ou “volée”. Tout le bateau est équipé de radiateurs en fonte ornés de motifs floraux. Ouverte sur l’espace de vie, la cuisine est aménagée avec des meubles de boucherie et un ancien bar de café. Les portes de bois d’une chambre froide à l’ancienne dissimulent les appareils électroménagers, tandis que des pièces de plomberie d’un autre temps deviennent suspension lumineuse.
Pour allumer les ampoules, il faut abaisser la poignée d’historiques sectionneurs tripolaires. Derrière la cuisine, se trouvent un bureau, avec son massif coffre-fort ancien, son percolateur chromé et sa lampe à signaux de morse, et la buanderie. Les 2 espaces sont séparés par quelques marches qui abritent une cave à vin éclairée par des leds. La chambre d’enfant a été installée au bout du logement, séparée du compartiment moteur par une épaisse vitre et une porte de sous-marin. Le plafond de cette petite pièce confortable, la 1re aménagée par F. Rallet au début des travaux, peut s’ouvrir pour offrir un passage à des meubles ou d’autres objets encombrants. Le sol est équipé de trappes qui donnent accès à des espaces techniques.
À l’extérieur du bateau, la terrasse couverte accueille un large coin salon avec des canapés disposés en U, une table basse, une grande table de teck avec plancha et ses chaises également en teck. Dans la cabine de pilotage, le plancher à claire-voie permet au pilote de voir la salle des machines et d’y surveiller les thermomètres, éclairés par des projecteurs, qui donnent la température de chaque cylindre du moteur. La température du moteur est également indiquée au pilote par un système (d’origine) d’alarme à vapeur : quand le moteur fonctionne, l’eau de refroidissement passe dans un tuyau qui laisse couler un filet d’eau dans la cabine de pilotage.
Tant que le pilote entend couler l’eau, c’est que la pompe à eau fonctionne correctement. Dans le cas contraire, dès que le moteur dépasse la température de 70 °C, l’eau se transforme en vapeur qui se diffuse dans la timonerie et donne l’alerte. L’instrument, simple et malin, ne nécessite pas d’électricité et ne peut jamais tomber en panne. Depuis la timonerie, 2 belles portes vitrées et quelques marches de bois donnent accès au luxueux logement des mariniers. Tout en courbes douces, illuminés de reflets par des vitres biseautées, l’armoire, le vaisselier, les placards d’angle et la table d’acajou, tout brillants de vernis, sont là où les ont laissés les Regnier. La pompe à main en cuivre alimente toujours l’évier de céramique. Les ornements de laiton des tiroirs et du miroir sont rutilants, comme astiqués de frais par la marinière. La cuisinière à bois et charbon est prête à faire bouillir la soupe et réchauffer la famille dès les 1ers froids de l’automne, ses carreaux de faïence vissés sur le métal pour résister aux vibrations du moteur. En 2000, François s’est résolu à modifier le précieux logement pour installer une salle d’eau avec douche et un lit de 160 cm de large en remplacement des 2 bannettes d’origine.
Devant la timonerie, se trouve une longue structure métallique en forme de chapeau de Napoléon, le fameux “chapeau de gendarme”. Elle abritait autrefois la réserve de bûches et une cuisinière à bois qui permettait à la marinière de cuisiner dehors à la belle saison, sans surchauffer le logement. La cuisinière a été supprimée dans les années 1980 pour remonter le plancher dans la cale et pouvoir charger quelques tonnes de grain supplémentaires. Depuis l’achat du Ravir en 1997, F. Rallet a consacré des centaines d’heures de travail à son bateau. Il a abordé chaque aménagement, chaque modification comme un défi, avec audace, imagination et une technicité sans concession, mais toujours avec le souci de respecter l’héritage d’Alphonse et de Roger
Regnier. Respecter son bateau, c’est aussi le faire naviguer et l’entretenir régulièrement. Tous les 5 ans, F. Rallet pilote le Ravir jusqu’à un chantier naval pour réaliser le carénage, la révision périodique de la coque. « Cinq ans, c’est réglé comme du papier à musique ! La durée de vie de la peinture, un époxy pour le Ravir, est généralement de 7 à 12 ans. Si elle n’est que de 7 ans et qu’on attend les 10 ans réglementaires pour faire le carénage, le bateau s’abîme pendant 3 ans.
Et quand on regarde ce que coûte 1 m2 de tôle à changer quand il y a 300 m2 dans l’eau, le calcul est vite fait. » Le bateau une fois sorti de l’eau par le chantier, c’est F. Rallet qui passe le Karcher et applique l’époxy au goudron. « En une semaine, c’est plié, cela me coûte 6000 €, mais au moins j’ai l’esprit tranquille. » F. Rallet et le Ravir ont déjà parcouru 3000 km ensemble sur les canaux du nord et du centre de la France, le Rhône et même sur le canal du Midi. Au passage, F. Rallet aura appris les bases du métier de marinier, celles du métier de soudeur, et acquis bien d’autres compétences. La preuve, s’il en fallait, que la restauration d’un bateau comme le Ravir n’est pas un passe-temps, mais bien le projet d’une vie.
Texte et photos Virginie Brancotte